Ite missa est : la messe de requiem de l’enfouissement est-elle dite ? Dans La Croix du 31 mai dernier, Bruno Frappat, pointure historique du quotidien catholique, a la franchise de dire ce qu’il a sur le cœur. Et manifestement, il en a gros sur la patate : lui et ses semblables ont mal vécu le tournant amorcé dans l’Eglise depuis Jean-Paul II, les deux derniers papes ayant « incarné une présence au monde différente de leurs rêves d’enfouissement ».

Et voici que le nouveau pape François en rajoute une grosse louche dimanche dernier, lançant un vibrant appel aux jeunes : « N'ayez pas peur d'aller à contre-courant, lorsqu’on vous propose des valeurs avariées, comme peuvent l'être les aliments. Ayez cette fierté d'aller à contre-courant. » Voilà l’esprit de notre jeunesse en quelque sorte adoubé : une jeunesse fière, audacieuse, fougueuse, courageuse, intrépide, créative ; une jeunesse frondeuse, une jeunesse bien vivante ! Ces jeunes ne sont pas de gentils petits poissons iréniques, mais d’énergiques rameurs : à contre-courant de l’hégémonie culturelle qui imprègne les mœurs au sens large, à contre-courant de la téloche en quelque sorte.

Car voilà, le levain ne peut plus être enfoui discrètement et sagement dans la pâte quand celle-ci est avariée par le poison des fausses valeurs mondaines, celui des nouvelles mœurs ou de la « dictature de l’argent », qui vont ensemble.

Ainsi, c’est bien un certain mode de présence au monde qui semble périmé. Cet enfouissement des années 60-70 portait la conviction que l’irréversible courant du monde allait nécessairement dans le bon sens et qu’il fallait précisément se laisser porter pour le bonifier. Il y avait l’idée de progrès continu, de sens de l’histoire, d’âge adulte du monde et de l’Eglise, enfin tous deux réconciliés. Las ! Cet âge adulte de l’humanité était un leurre, un rêve d’adolescents.

La sociologie des profondeurs a changé. Les aspirations profondes de ceux que les animateurs télé appellent les « vrais gens » ne sont plus d’abord l’émancipation, mais – tout au contraire – le besoin d’autorité, de repères, d’identité, de sécurité. Sur ce plan, notre jeune génération catholique est bien de son temps. Et – paradoxe ! - c’est l’hégémonie culturelle qui semble de plus en plus à contre-courant du réel, ce qui signe peut-être sa disparition prochaine. Par exemple, lutter contre la loi Taubira, c’est à contre-courant de la téloche, mais pas forcément à contre-courant du peuple.

Ce combat aura été un révélateur supplémentaire du malaise des chrétiens de « l’enfouissement » : mal à l’aise avec le projet de la gauche, mal à l’aise avec le mouvement social, le cul entre deux chaises ; et cette impression d’être écrasés parce que minoritaires dans leur « famille-Eglise ». Ce mouvement social, ils ne l’ont pas aimé, ils ne l’ont pas compris. En témoigne une tribune de Mgr Dagens, toujours dans La Croix, qui assimile la contestation à « la tentation du catholicisme intransigeant » des années 1900-1930. Enfin quoi ! Les catholiques sont-ils descendus dans la rue Bible et catéchisme à la main pour proclamer « Je suis chrétien voilà ma gloire ! » ? Non, ils sont descendus dans l’agora contemporaine comme citoyens intéressés aux préoccupations séculières du moment. Ils ont fait précisément ce que les enfouisseurs ont toujours prôné : entrer de manière séculière dans les débats séculiers, rejoindre le monde du même point de vue que le monde.

Et c’est là que les chrétiens de « l’enfouissement » ont – à mon avis – manqué l’occasion. Alors même que le catholicisme français les rejoignait sur les leçons – non périmées celles-là - de la sécularisation, ils ont manqué l’occasion d’amorcer leur propre mutation historique ; et celle de bonifier le mouvement social de leurs propres talents. Mais l’histoire n’est pas finie, elle ne fait que commencer. Ite missa est, en liturgie, c’est ce qu’on appelle l’envoi. A vos rames camarades !

Guillaume de Prémare

Source : site Belgicatho