Une recension
très intéressante par Jean-Marie Guénois, du Figaro, du livre du pape François,
ex-cardinal Jorge Mario Bergoglio, « Seul l’amour nous sauvera » (copublié
par Parole et Silence, Éditions du Rocher, La Librairie éditrice vaticane, 190
p., 15 €). Il est préfacé par le cardinal André Vingt-Trois. Jean-Marie Guénois
en donne quelques extraits marquants.
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Société de «caprices adolescents»
«Nous
sommes poussés par l'appétit insatiable de pouvoir, le consumérisme et la
fausse éternelle jeunesse qui rejettent les plus faibles comme une matière
méprisable d'une société devenue hypocrite, occupée à assouvir son désir de
“vivre comme il nous plaît” (comme si c'était possible) et guidée uniquement
par la satisfaction de caprices adolescents. Le bien public et commun nous
semble de peu d'importance, pourvu que notre “ego” soit satisfait. Nous sommes
scandalisés de certaines réalités sociales exposées par les médias… Mais nous
reprenons au plus vite notre carapace, et rien ne saurait nous décider à
assumer la conséquence politique qui devrait être la plus haute expression de
la charité. Les plus faibles sont éliminés: les enfants et les personnes âgées.
Il m'arrive de penser que nous nous conduisons envers les enfants et les jeunes
comme des adultes ayant renoncé.»
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«Narcissisme» et «fétichisme» du corps
«Nous
livrons nos vies et, bien pire, celle de nos enfants et de nos jeunes aux
solutions miracles et destructrices des drogues (légales ou non), du jeu
légalisé, de l'automédication, de la banalisation de spectacles sans contenu,
du soin fétichiste apporté au corps. Nous les emprisonnons dans le narcissisme
et le consumérisme. Et nous jetons nos anciens, qui méprisent ce narcissisme et
ce consumérisme, à la décharge existentielle. C'est ainsi que le manque d'amour
instaure la “culture de la décharge”: ce qui ne sert plus, on le jette. (…)»
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Pas de politique sans amour
«Le
manque d'amour, son abaissement et son abâtardissement permanents, malgré
quelques discours pseudo-religieux, ne fait pas que nous déshumaniser. Il finit
par nous dépolitiser. L'amour, en revanche, pousse à prendre soin des biens et
surtout du bien commun, qui génère et accroît les biens particuliers. Une
politique sans amour du prochain, sans passion pour le bien, aboutit à un
rationalisme de la négociation ou à un appétit vorace uniquement tourné vers la
jouissance du pouvoir. Aucune éthique n'est ici possible, car l'autre ne
suscite aucun intérêt.»
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«Le vrai pouvoir, c'est l'amour»
«Concernant le pouvoir: l'exercice consistant
à rechercher toujours plus de pouvoir, en guise d'adrénaline, crée aujourd'hui
un sentiment artificiel de plénitude et conduira demain à l'autodestruction. Le
vrai pouvoir, c'est l'amour. C'est lui qui donne aux autres leur force, qui
suscite des initiatives, lui qu'aucune chaîne ne peut entraver puisqu'il est
possible d'aimer jusque sur la croix ou sur son lit de mort. Il n'a besoin ni
de beauté juvénile, ni de reconnaissance ou d'approbation, ni d'argent ou de
prestige. Il se contente de jaillir… Et on ne peut l'arrêter. Si on le calomnie
ou qu'on le détruit, il en acquiert une reconnaissance encore plus incontestable.
Ce Jésus, si faible et insignifiant aux yeux des politologues et des puissants
de la terre, a révolutionné le monde.»
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Contre le mariage homosexuel
«Nous ne voulons pas juger ceux qui pensent et
ressentent différemment que nous. (…). Le mariage précède l'État, il est le
socle de la famille, la cellule de la société, antérieure à toute loi et même à
l'Église. Par conséquent, l'adoption du projet de loi serait un grave recul
anthropologique. Le mariage (formé d'un homme et d'une femme) n'est pas la même
chose que l'union de deux personnes de même sexe. Distinguer n'est pas
discriminer, mais respecter; différencier pour discerner consiste à évaluer
correctement, pas à discriminer. (…) Nous ne pouvons pas enseigner aux
générations futures qu'il est équivalent de se préparer à développer un projet
familial fondé sur un engagement de relation stable entre un homme et une
femme, que de vivre avec une personne du même sexe (…). Je vous en conjure,
qu'il n'y ait de votre part, ni dans vos paroles ni dans vos cœurs, aucune
marque d'agressivité ou de violence envers aucun frère.»
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Attention aux délocalisations
«On
ne peut pas nier qu'un certain capital peut faire le bien quand il est investi
à l'étranger au lieu de l'être dans sa propre patrie. Mais la justice doit être
préservée, en tenant compte de la manière dont s'est formé ce capital et du
préjudice pour les gens du fait de sa non-utilisation dans son lieu d'origine.
Il faut éviter que les démarches financières soient motivées par la spéculation
et cèdent à la tentation de chercher uniquement le bénéfice immédiat, au lieu
de chercher la pérennité à long terme de l'entreprise, son utilité pour
l'économie réelle et la promotion (…). Cependant, il n'est pas licite de
délocaliser uniquement pour profiter de conditions particulièrement favorables,
ou, pire encore, pour exploiter sans apporter à la population locale de
véritable contribution (…). Nous pourrions dire que le capital aussi a une
patrie.»
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Ouvrir les portes de l'Église
«Franchir
le seuil de la foi, c'est vivre dans l'esprit du Concile, une Église aux portes
ouvertes, non seulement pour recevoir, mais surtout pour partir et remplir
d'Évangile la rue et la vie des hommes de notre temps.»
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«Satan» et les «ténèbres»
«Attention:
nous ne luttons pas contre des pouvoirs humains, mais contre la puissance des
ténèbres. Comme il l'a fait avec Jésus, Satan cherchera à nous séduire, à nous
égarer, à nous offrir des “alternatives viables”. Nous ne pouvons pas nous
payer le luxe d'être crédules ou suffisants. Il est vrai que nous devons
dialoguer avec tout le monde, mais on ne dialogue pas avec la tentation.»
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Les «chrétiens amidonnés»
«L'autre
fils répond: “Oui, Père, j'y vais”, mais il n'en fait rien. Il n'obéit pas à
son père, mais sauve les apparences: ce sont les chrétiens “amidonnés”, ces
chrétiens aux bonnes manières mais mauvaises habitudes.
-Je
suis très catholique, Père, je fais partie de telle et telle association.
-Dis-moi,
as-tu des employés de maison chez toi?
-Oui,
Père.
-Et
comment les paies-tu: officiellement ou au noir?
-Eh
bien, Père, si on commence à se poser ces questions, évidemment…
C'était
juste une question. Et si l'on va plus loin, on comprend qu'ils mènent une
terrible double vie. Les chrétiens comme ce fils, les chrétiens pharisiens sont
ceux qui font le plus de tort au peuple de Dieu.»
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Les hypocrites du clergé
«À
ceux qui étaient scandalisés de le voir manger avec les pécheurs, les
publicains, Jésus répond: “Les publicains et les prostituées vous précéderont”,
alors que c'était la lie de la société de l'époque. Jésus ne les supporte pas.
Ce sont eux qui ont cléricalisé - pour dire les choses clairement - l'Église du
Seigneur. Ils l'encombrent de préceptes. Je le dis avec tristesse, et
pardonnez-moi si j'ai l'air de les dénoncer ou de les insulter, mais il y a
dans notre région ecclésiastique des prêtres qui refusent de baptiser les
enfants de mères célibataires sous prétexte qu'ils ont été conçus hors des
liens sacrés du mariage. Ce sont les hypocrites d'aujourd'hui. Ceux qui ont
cléricalisé l'Église.
Ceux
qui éloignent du salut le peuple de Dieu. Et cette pauvre fille qui, alors
qu'elle pouvait renvoyer son enfant à l'expéditeur, a eu le courage de le
mettre au monde, erre de paroisse en paroisse en demandant qu'on le baptise!
(…) Cléricaliser l'Église est une hypocrisie pharisienne. L'Église du “entrez
par ici que nous vous disions les règles à suivre, et ce qui n'y entre pas n'en
est pas” est pharisienne. Jésus nous montre l'autre voie: sortir. Sortir pour
témoigner, pour s'approcher de son frère, pour partager, pour questionner.
S'incarner.»
•
«Non à la frivolité spirituelle»
«Le
pire des maux qui puissent atteindre l'Église, c'est de tomber dans la
frivolité spirituelle, comme l'indiquait le cardinal de Lubac. C'est le pire
des maux dont puisse souffrir l'Église, pire encore que la débauche des papes
d'autrefois. Cette frivolité spirituelle qui consiste à faire ce qui fait bonne
impression, à être comme les autres, de cet embourgeoisement spirituel, du
respect des horaires, du statut: “Je suis chrétien, je suis consacré ou
consacrée, je suis prêtre.” Ne vous commettez pas avec le monde, dit Jacques.
Non à l'hypocrisie. Non au cléricalisme hypocrite. Non à la frivolité
spirituelle (…). Oui à la proximité, au chemin parcouru avec le peuple de Dieu,
à la tendresse spéciale envers les pécheurs, ceux qui sont plus loin, et
souvenons-nous que Dieu vit au milieu d'eux. Que Dieu nous accorde cette grâce
de la proximité, qui nous préserve de tout comportement gestionnaire, frivole,
prosélyte, clérical, et qui nous rapproche de sa voie: marcher avec le peuple
saint de Dieu.»
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